Laborieuse capture

J’ai été alerté de la présence de cet essaim depuis plus d’un mois, un peu après la mi-juin, et j’étais venu jeter un coup d’oeil : Il était déjà bien installé et semblait très actif, bien vigoureux. Mais impossible d’ouvrir la porte du local, pour l’observer par l’arrière et pouvoir ensuite le déloger de là.
Or chaque jour qui passait il s’installerait un peu mieux… mais, surtout, la saison favorable à la miellée était un peu plus avancée et ce serait du temps en moins pour qu’il refasse ses réserves d’hiver dans la ruchette dans laquelle je l’installerais.

Il a donc fallu attendre plus d’un mois pour que la clé de cette porte soit retrouvée et que l’huis s’ouvre enfin…
La mi-juillet étant largement passée, une récupération était périlleuse, la survie de la colonie incertaine. Mais placé comme il était, avec son entrée à hauteur de tête dans cette ruelle passante en été, il représentait un danger potentiel et ça aurait tôt fini aux mains d’un destructeur d’insectes… J’étais donc résolu à m’en occuper. Le moins mal possible.

Après inspection des lieux la veille au soir, le mercredi 25 juillet, en fin d’une chaude journée, alors que le calme revenait sur la cité ancienne de Charroux, j’installais mon chantier : Rubalise pour condamner le passage (ce qui fut autorisé par arrêté spécial du maire, que je dûs afficher aux deux extrémités du passage, conformément à la loi) et matériel en place…

L’essaim, tel que visible à l’extérieur :

Et puis je suis entré dans le local et retrouvai cette belle colonie, bien installé, dans un lieu propice. C’est impressionnant de se retrouver face à ÇA, où tout est ordre et collaboration productive, et où tout grouille de vie paisible… avec toutefois quelques milliers de dards justiciers à l’arrière-train :

Venir pour déconstruire tout ça et pour imposer, non sans une inévitable brutalité, un ordre nouveau que cet organisme multi-unitaire n’est absolument pas préparé à comprendre… La face obscure de l’apiculture. Ni joie ni fierté.
En plus, beaucoup d’appréhension au sujet de la façon dont elles vont réagir : si elles deviennent super-agressives, comment mener à bien ce travail dont la première et principale partie va se dérouler dans ce petit local, où je serai directement face aux abeilles… Gasp !…
Certes, j’ai enfumé généreusement. Mais ce doit être une race bien peu agressive car tout au long de mon travail de prédation je n’ai à aucun moment été attaqué, menacé. Cela m’a beaucoup aidé à rester calme et faire ce qui devait l’être.
Tout le temps je restai attentif à leur comportement, craignant qu’elles finissent soudain par se retourner massivement contre moi, mais ce n’est pas arrivé.
Au travers du cuir fin et souple des gants, je sentais courir sur mes mains des abeilles désorientées…

J’ai coupé les rayons par le haut pour les détacher des poutres mais ça ne bougeait pas encore et j’ai vu que c’était soudé aussi par en bas, de façon moins accessible encore. Puis, plaque par plaque, j’ai sorti les rayons et tenté de les insérer dans mes cadres vides… Il était parfaitement illusoire de croire les fixer avec quelques fils métalliques. Du fait de la chaleur ambiante, la cire ramollie était cassante, tout se brisait dans mes mains. Après hésitation, je n’eu pas d’autre solution que d’entasser tout ça dans le milieu de la ruche, de la façon la plus ouverte -mais solide- possible.
Ainsi ai-je empilé ce que j’ai pu extraire, rayons de miel et de couvain et calé tout ça dans la ruche afin qu’elle puissent retrouver une bonne partie de leur ruche naturelle.

Ma ruche elle-même était une sorte de chimère : N’ayant plus de cadres alvéolés disponibles que sous forme de cadres de rehausse, j’avais finalement décidé de bâtir une pseudo-ruche à l’aide de deux rehausses posées sur un plateau que j’avais providentiellement récupéré deux mois plus tôt… Au centre l’unique cadre de corps, partiellement bâti et quatre cadres de corps entièrement vides (que le bois) et destinés à accueillir dans leur béance les plaques de rayons récupérés. De chaque côté et sur deux niveaux, des cadres de rehausse dont un plein de miel, provenant d’une récolte de printemps non-encore extraite, seule offrande que j’apportais comme cadeau de bienvenue. J’en avais d’abord placé trois, mais cela alourdissait excessivement la ruche et la rendait peu maniable (dans la prévision que je faisais de la hisser sur un échafaudage pour la rapprocher de l’entrée de l’habitat de l’essaim et l’y laisser un moment pour favoriser le regroupement, puis de l’en descendre pour l’emporter -alourdie encore par mon butin- et jusqu’à la placer à son emplacement définitif) véritable inconvénient pour la réussite de l’opération. Ou « comment le mieux peut devenir l’ennemi du bien ». Aussi en retirai-je deux et c’était bien ainsi, car je pourrais toujours ensuite en rajouter, s’il le fallait, et parce qu’une générosité trop grande a priori était inutile : un seul cadre plein de miel pouvant être à lui seul un signal positif suffisant.

Comme un gros ours affamé j’ai donc puisé et puisé encore, dans la cavité chaude où grouillaient les abeilles assez affolées devant le cataclysme qui ravageait leur monde jusqu’à peu encore si ordonné et sécure. A la fin ne restait plus qu’un trou gluant de miel…

Du miel, j’en avait donc plein les gants et cela compliquait tout, car on le transfère alors sur tout ce que l’on touche et cela m’a empêché, par exemple, de faire certaines photos alors que j’en aurais eu le temps. De l’inconvénient de travailler seul.

Et j’enfumai, encore et encore, pour les convaincre que ce lieu n’était plus le leur et qu’il fallait bien en sortir…
J’ai passé une heure et demie à me démener, en nage du fait de la grosse chaleur, entrant et ressortant du local, gêné par la structure de l’échafaudage, et à la fin j’étais épuisé et ne savais plus quoi faire de plus. J’avais la pénible conviction que la reine ne pouvait avoir survécu à ce travail maladroit et qu’il serait difficile de faire entrer toutes les abeilles dans ma ruche. Il était tard et, ayant quand même recueilli une majorité d’abeilles, je décidai de laisser les choses en l’état, relâcher la pression pour laisser le temps à la colonie de se réorganiser d’une façon ou d’une autre… Ces abeilles, d’une patience exemplaire, méritaient bien qu’on leur fichât, enfin, un peu la paix.

Le lendemain matin, je n’avais pas l’énergie suffisante pour venir très tôt finir le travail et peut trouver tout à refaire… Je me convainquis qu’il fallait laisser faire la nature et espérer… En milieu de matinée je pris des nouvelles par téléphone et Florent, mon contact sur place, m’informa que c’était assez effrayant, qu’il y avait des abeilles tournoyant dans toute la largeur de la ruelle, que c’était le chaos et ne semblait donner aucun espoir de solution… Attendre encore… Vers midi tout s’était calmé. Peu d’abeilles volaient, beaucoup étaient posées sur le mur près de la ruche, mais c’était calme… Je compris avoir un peu de temps et décidai d’attendre le soir, afin que la grosse chaleur de l’après-midi s’estompe.

Lorsque je revins, c’était bien et mal : pratiquement plus d’abeilles à l’intérieur du local, mais trop encore à l’extérieur de la ruche : sans aucun doute la reine ne s’y trouve pas, sans doute n’est elle plus vivante et c’est fâcheux pour le futur de cette colonie.

Je ramasse ces paquets d’abeilles et les fais rentrer dans la ruche et la referme. De nouveau, je laisse tout sur place… Patience et risque calculé. Le lendemain avant le lever du soleil, je reviens et vois qu’il n’y a plus que quelques poignées d’abeilles en dehors de la ruche. Je la ferme et l’emporte, laissant sur place les dernières récalcitrantes dont le funeste destin est ainsi scellé… Hors la colonie leur existence perd toute valeur et sera courte.

Trajet de retour sur de petites routes occasionnant mille chaos, au propre comme au figuré. Rouler doucement, en souplesse, pour amortir tout choc afin que mon empilage de morceaux de rayons ne s’écrase pas sous son poids, tuant encore des abeilles et devenant moins exploitable par celle qui restent. Heureusement, par cette heure matinale les routes sont assez calmes et dans la lumière de l’aube, roulant vers l’Est, je trouve enfin un peu d’apaisement.

Arrivé au rucher, je libère une place en déplaçant Verneuil, une ruchette Dadant que je suis venu fermer avant toutes choses, dans la nuit complète, et y pose celle qui se nommera Charroux pour le temps qu’elle existera, privée de reine qu’elle est. J’emporte Verneuil dans la voiture, avec tout le nécessaire pour l’installer ailleurs, puis rouvre Charroux.

Voilà, c’est terminé pour le moment, une vie nouvelle commence pour ces abeilles. Elles habitaient dans l’univers quasi-minéral d’un village au sommet d’une colline et sont maintenant dans la fraîcheur végétale d’un jardin ouvert sur la campagne et bordé par une petite rivière…

Et pour moi une expérience supplémentaire, avec beaucoup de leçons à tirer, d’erreurs et de maladresses à ne plus commettre en pareille opération, que j’espère pouvoir à nouveau réaliser.

Ensuite je pars placer Verneuil au hameau de Blénière, à Langy, juste à 3 km à vol d’abeille, dans un arrière-jardin en friche bordant un champ de tournesols. Cela afin de tenter de stimuler le butinage de cet essaim encore trop peu approvisionné pour l’hiver… La floraison du tournesol est avancée mais il y a encore de quoi faire, comme m’en convaincra ensuite la vue des pattes des butineuses rentrantes, garnies de belles pelotes jaune vif…

Les tournesols sont là-bas, à 10 mètres, juste derrière les plantes folles…

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